Ce 16 février 1885, c'est l'enterrement de Jules Vallès. L'album que lui consacre le graphiste, peintre et dessinateur Eloi Valat est le récit d'un moment historique du Paris populaire, ouvrier, de celui de la gauche, quand celle ci était principalement révolutionnaire.
En vis à vis de ses dessins, l'auteur a fourni une documentation complète et exceptionnelle sur l'évènement et son contexte. (Voir le diaporama)
7/9 - Enterrement de Vallès
Ce jour là, donc, on enterre Vallès. Écrivain et journaliste, il représente d'un côté comme de l'autre de la barricade, le souvenir le plus vif de la Commune de Paris, dont il fut un élu, condamné à mort et exilé.
Ce n'est que 14 ans auparavant qu'elle s'est achevée dans la répression de la Semaine sanglante. Depuis 1871, aucune manifestation n'est venue troubler le Paris des bourgeois.
Avec ces funérailles, « la Sociale » veut regagner le haut du pavé et faire de cet enterrement le lieu unitaire de tous les mouvements révolutionnaires nés de la Commune. Dès le départ du cortège du domicile du fondateur du « Cri du Peuple », boulevard Saint-Michel, le ton est donné. Le premier « Vive la Commune » claque.
Le ton est également donné par le dessin d'Eloi Valat. Sa plume à l'encre de Chine , erratique et simple, exacerbe les sentiments des visages. Les couleurs, en a-plats, sont celles de la ville du XIXème siècle. Le lecteur est au premier rang.
Le retour des drapeaux rouges dans les rues de Paris
Derrière le corbillard, il y a les amis. Les citoyens Millerand (avec 2 « l »), Pottier, Rochefort, Lafargue, Clemenceau, Carjat, Vaillant, Longuet, Clément, Guesde, pour les plus connus, des membres de la Commune entourent Séverine, la compagne du défunt.
C'est alors qu'apparaissent les drapeaux rouges, absent depuis quinze ans des rues de Paris. Ils sont au nombre de sept :
- celui de la Libre-Pensée de Clichy, portant l'inscription « Ni Dieu, ni maître »
- celui de la Libre-Pensée du XVIe arrondissement
- ceux des comités révolutionnaires des Xe, XIVe et XIXe
- celui du Groupe des égaux du XIe
- celui de la Fédération du centre du Parti ouvrier
Puis, avec crêpe rouge, le drapeau noir des anarchistes. Trois couronnes d'immortelles suivent dont celle « superbe, remarquable, des typographes du Cri du peuple ».
Entre les journaux, la première guerre des chiffres
Le cortège va du boulevard Saint-Germain au Père-Lachaise par les places de la Bastille et Voltaire. Il y a eu foule, c'est certain. Mais combien étaient-ils vraiment à accompagner l'auteur de « L'Insurgé » (que l'on peut lire sur Wikisource) ?
Les journaux, selon leurs tendances, vont se livrer aux lendemains des obsèques à une guerre des chiffres. Cette guerre des chiffres est, dans les lignes, une guerre de classes. Les journalistes de droite, effrayés, y ajoutent le style haineux de la guerre civile.
Henri Rochefort, dans L'Intransigeant, y va fort. Il en compte 210 000 après une addition des citoyens devant et derrière le cercueil, plus ceux du cimetière, plus ceux ceux des trottoirs rangés en « haies profondes » et conclut :
« Si j'étais à la place du gouvernement, il me semble je commencerais à réfléchir. »
Dans Le Siècle au contraire on affirme :
« Tout s'est borné à quelques cris en faveur de la Révolution sociale. La place de la Bastille, par exemple, ordinairement pleine, des journées de ce genre, ne contenait qu'une double haie de curieux assez peu fournie… il y en avait presque autant sur la colonne que sur la place. »
Cornély, dans « Le Gaulois », donne dans le lyrisme (« une rougeur qui coupait le noir du cercueil »), mais de chiffres, point. Néanmoins, « beaucoup de gens ont crié : Vive la Commune ! » Son article se termine par : « Le bourgeois a été épaté. S'il était intelligent, il se tiendrait pour averti. »
Le spectre des barricades hante « La Liberté » où l'on compare le nombre de manifestants à une troupe : « Vingt mille hommes ! Tel est effectif de l'armée révolutionnaire. Ce contingent donne à réfléchir. »
Le Pays a vu derrière cette « infâme écharpe rouge » « soixante mille communards… l'armée de la prochaine révolution ».
Quand au Télégraphe, il est scandalisé :
« Hier, dix mille personnes se réunissent pour l'enterrement de Jules Vallès, elles promènent le drapeau rouge… Et le service d'ordre n'est même pas assuré ; la circulation est interrompue, vingt tramways encombrent les abords de la maison mortuaire… »
Le Télégraphe, Le Pays, et Le Temps posent dans les articles, à leurs manière, cette question qui reviendra désespérément jusqu'à nous : « Où est et que fait la police ? »
La Gazette de France répond : « A ceux qui demandaient “Où est la police ? ” Qu'est-ce que la police aurait pu tenter contre ce flot humain ? Il fallait une armée pour arrêter cette foule. »
La police aurait pu au moins être là pour compter.